BOODLES, 28 ST JAMES'S STREET, LONDON.
Saturday, January 31st 2015.
Ça aurait pu ressembler au Queen's Charlotte Ball si l'on avait été au mois d'Octobre. Ce soir, le Boodles est revêtu de blanc et bleu roi, et on organise un dîner en l'honneur du Duc de Lancaster qui fête son quatre-vint deuxième anniversaire. Aussi loin que je puisse me souvenir, j'ai toujours connu la famille de Lancaster. C'est un peu comme mon grand-père, Albert. Un peu, seulement.
La salle est pleine, et on distingue à peine les tables rondes où l'on s'installera pour dîner, et je ne parle même pas de la seconde salle en enfilade, ou, sans aucun doute, Albert ira ouvrir la piste de danse avec son épouse après le repas. Mes parents nous précède, et Peter me retire ma cape trop lourde, sans pour autant retirer le poids que j'ai sur les épaules. Je lui souffle un merci alors qu'il s'en débarrasse et me tend le bras pour que l'on puisse avancer. Il est beau mon frère, dans son costume tailor-made bleu nuit, ses yeux gris contrastants et son sourire à faire tomber les filles. Il ne fait pas son âge, et pourtant, la petite ride entre ses sourcils le trahit quand on le regarde bien. Si c'est moi à son bras ce soir, c'est qu'il n'est pas encore décidé sur le choix d'une épouse, et mes parents commencent à s'impatienter. Quand on arrive à la trentaine, on est supposé avoir déjà mis en route un héritier au moins ; mais lui, il s'en fiche, c'est l'enfant rebelle de la famille. On est proches, différent de caractères, mais nos objectifs sont les mêmes à peu de choses. «
Je t'ai dit que tu étais magnifique ce soir ? » «
Au moins autant de fois que j'ai dû remettre ta cravate en place. » On rigole, et on entre dans la pièce, laissant nos parents nous dessiner le chemin. C'est toujours la même chose plus ou moins, ils entrent, discutent, on finit par glisser quelques mots, et ensuite on est livrés à nous-mêmes, et ce n'est pas plus mal. Peter me met un léger coup de coude, et fait un signe de tête vers le fond de la pièce. Je reconnais quelques uns de ses amis, et des miens aussi. «
Tu vois la blonde avec la robe rouge ? C'est la fiancée d'Andrew. Ce n'est pas encore officiel, mais vu la caillasse qu'elle se trimballe sur l'annulaire, c'est ce soir où jamais si tu vois ce que je veux dire. » Je rigole et laisse tomber ma tête contre son épaule. «
Tu es déjà en mode d'attaque je vois... » Il est secoué d'un rire, mais s'arrête vite quand notre patriarche se retourne vers nous, et qu'Albert sourit. «
Florence, tu es ravissante. Peter. » Il m'embrasse la joue et serre la main de Peter avant de retourner à sa discussion avec nos parents. On le prend comme notre signe pour se diriger vers ses petits-enfants qui font partie de nos amis proches. «
Florence, enfin. » Juliet me prend dans ses bras alors que Peter lève les yeux au ciel, se retournant pour saluer les autres. «
Andrew s'est fiancé à l'autre blondasse, c'est une catastrophe. » Je rigole, et la serre un peu fort. Elle est la raison qui fait capoter les fiançailles à chaque fois, car elle finit par coucher avec lui et apporte toujours un vent de scandale qui enfonce sa famille. Famille qui n'a toujours pas comprit que ça serait bénéfique pour les deux parties que les enfants se marient pour avoir la paix et que les scandales en première page du Sun s'arrêtent. «
Comme si elle pouvait être un obstacle... » Elle lève les yeux au ciel alors que Peter me fait signe que la blondasse ne relève pas la réputation de ses consœurs. «
Florence, t'es ravissante ce soir… C'est bien dommage que tu sois, comme toujours, accompagnée de ton frère. » Peter me cale une flûte de champagne dans la main et se colle à mes côtés. «
Andrew… C'est bien dommage que tu sois, comme toujours, aussi lourd et débile. » Les autres rigolent alors que je lève mon verre vers Andrew avant de laisser glisser le champagne dans ma bouche. «
Florence… C'est toujours un plaisir d'être salué comme ça... » Je lui souris, et l'avantage, c'est qu'il est rare que le petit-fils du Duc de Lancaster s'offusque de mes remarques et qu'en général il en rigole. Avant qu'il ne puisse ajouter quoi que ce soit, Peter nous excuse et m'entraîne un peu plus loin pour rencontrer certains de ses amis à lui. On se salue, et je comprends que Peter n'a pas envie de rigoler ce soir. Il est là pour m'avoir à l'oeil, et certainement aussi pour discuter avec certaines de ses connaissances. Mon cerveau s'éteint alors, et je suis absente. Juste là pour saluer les nouveaux arrivants dans la conversation, sourire de temps à autres, et ne prêter que rarement attention quand Peter leur promet un meeting la semaine prochaine.
«
Tu danses ? » Je me rends compte que je n'ai pas vu la soirée passée quand Peter me regarde avec ses yeux gris. Trop absorbée par les ragots de Juliet sur les aventures des uns et des autres, le dîner à peine touché, et le champagne et le vin valsant pour faire couler tout ça. Albert est déjà à faire danser son épouse pour célébrer son anniversaire. «
Allons-y. » Ma main dans la sienne et l'autre sur son épaule, je regarde du coin de l'oeil mon père qui est en grande conversation avec certains de ses anciens collègues pendant que ma mère est très certainement en train d'arranger le coup pour mon frère avec la famille Tate. Les gens discutent, rigolent et le monde tourne sans que personne n'y prête attention. «
Maman semble avoir envie de te caser avec Beatrice… Quel choix… Improbable. » Il rigole d'un rire franc qui fait se retourner nos voisins sur la piste. «
Plus qu'improbable. Mais, si ça lui fait plaisir d'y croire. Laisses. » Je secoue la tête, et soupire. «
Tu sais qu'elle n'aura de répit que le jour ou tu l'emmèneras chez Harry Winston ou Jessica McCormack. Alors, tu ne peux pas faire un effort pour notre bien à tout les deux ? » Il pose ses lèvres contre ma tempe, et s'approche pour murmurer contre mon oreille. «
Bientôt. »
REUTER-STAFFORD's Home, Park Street, W1K.
Sunday, February 1st 2015.
«
Dis Flo, tu penses que c'est craignos à mon âge d'être seul ? » Je lève les yeux sur mon aîné qui joue avec son bacon et ses œufs. C'est tellement soudain, que je me demande ce qui lui passe par la tête. Je rejoue aussi dans ma tête notre conversation furtive d'hier soir. Je me dis aussi, que j'ai peut-être poussé le bouchon un peu loin hier soir. J'hésite. Je comprends aussi que la pression sur ses épaules est plus lourde que la mienne, car il n'y aura que lui pour produire un héritier chez les Reuter-Stafford. Mon père n'a qu'une sœur, et celle-ci est décédée il y a déjà une vingtaine d'années, ne laissant derrière elle qu'un veuf. Me concernant, je porterais un autre nom, et les héritiers d'un autre nom, aussi. Il n'y a donc que lui, pour faire vivre ce qui reste de notre héritage ; et même si on ne vient pas d'une lignée noble de plusieurs siècles, nous avons un nom, un héritage. Et c'est Peter qui sera chargé de le transmettre. Et à son âge, mes parents l'avaient déjà eu, il avait tout juste un an, mais, ils étaient mariées depuis sept. «
Non, je pense juste que tu essayes de pousser Papa à obtenir la crinière blanche qu'il a toujours évitée... » On rigole, et c'est bon enfant. «
Flo. » Il me lance son petit regard qui veut dire que j'ai raison, mais que je devrais pas tenir de tels propos. «
Peter, quand tu auras trouvé quelqu'un de digne de tout ça, tu le sauras, et tu feras d'elle ta femme. Il n'y a pas de date fixe, ou de temps spécifique. Ça arrive quand ça devra arriver. Après, essaye de trouver quelqu'un rapidement que Maman arrête de te marier tous les quinze jours ; mais ne te presse pas trop. Attends que j'ai finis mes études pour que je puisse trouver un autre appartement. » «
C'est à propos de toi alors ? » «
Totalement. » Il rigole et m'attrape la main. Ça n'a jamais été à propos de moi, et il le sait. Il a toujours été le centre de l'attention, pour les raisons que j'ai déjà évoquées. «
Tu sais très bien que Papa t'achètera un appartement si c'est le cas. Et au pire, j'achèterai moi un appartement. » Je le regarde, et je souris. Je sais qu'il le ferrait si cela devait arriver. Mais je sais aussi qu'il n'a pas les moyens de nos parents, et que même si son entreprise lui rapporte beaucoup, ce n'est encore pas assez pour se payer un appartement dans les beaux quartiers de Londres, dans nos quartiers. «
En parlant de Papa… Il t'a parlé des investissements dans les entreprises Wates ? » Je ne comprends pas pourquoi il m'en parle, il sait très bien que ça m'importe peu ce que notre père peut faire de son argent. «
Non, mais, c'est plutôt sûr comme investissement. Pourquoi tu me demandes ? » Il secoue la tête, et me sert du jus d'orange. «
Rien, je croyais juste que les investissements étaient 'fermés' et que l'entreprise étaient dans une mauvaise passe. Mais, c'était probablement des rumeurs, il sait ce qu'il fait. » Je le regarde, et lui fait un clin d'oeil. Si il y a bien une chose que j'ai apprit depuis tout ce temps, c'est qu'il n'était pas de mon devoir de regarder les affaires de mon père, car il s'est toujours très bien débrouillé seul, et il avait toujours réussi. Toujours. Et ce n'était pas demain que mon père ruinerait tout ce qu'il avait passé sa vie à construire...